Actualité juridique pénale
Les djihadistes français valent de l’or
Pour les Irakiens, chaque prisonnier représente 2 millions de dollars. Pour les Kurdes, ils sont le moyen d’obtenir un tribunal international qui consacrerait leur souveraineté.
C’est une marée d’ombres noires. Elles sont des milliers, dissimulées sous leurs sombres abayas. Nabil Boudi, avocat au barreau de Paris, ne voit que leurs regards, qu’il cherche à croiser en quête d’un signe, de quoi que ce soit qui lui permettrait de reconnaître parmi elles l’une de ses clientes. L’avocat français est le premier à avoir obtenu l’autorisation de pénétrer dans le camp de Roj, « le soleil couchant », situé au Kurdistan syrien, le Rojava, ce territoire autonome du nord de la Syrie.
C’est là que sont parqués sous bonne garde les femmes et les enfants de Daech, en tout 550 familles, dont certaines françaises. La chaleur est suffocante et l’air chargé d’une odeur de soufre dégagée par les puits de pétrole. L’avocat a confiance, dit-il, dans les FDS, les Forces démocratiques syriennes, qui administrent la région. Il croit en leur volonté de coopérer. Preuve en est cette autorisation qui lui a été accordée. Mais une fois passée la barrière de barbelés, les règles changent : Me Boudi peut entrer et voir, mais il n’a pas le droit de parler aux Françaises.
Résigné, il se contentera d’arpenter les allées de tentes blanches entre lesquelles s’agglutinent des femmes et des enfants désœuvrés, assis sous un soleil brûlant. Pas besoin d’explications pour constater que les conditions de sécurité et d’hygiène sont déplorables. Soudain, une femme approche. Elle est repoussée sans ménagement. Me Boudi apprendra plus tard qu’il s’agit de Sophie*, l’épouse d’un djihadiste français condamné à mort à Bagdad. Parler avec elle lui aurait permis de recueillir des informations sur cet homme qui fait partie des treize djihadistes français capturés dans le Kurdistan syrien et transférés le 26 janvier dernier à Bagdad, en Irak, pour y être jugés. C’est son client, mais il n’a jamais obtenu l’autorisation de le rencontrer.
Les treize encourent la peine de mort, qui n’existe pas au Rojava. Onze d’entre eux se sont déjà vu infliger cette condamnation. Sur le plan du droit international, ces transferts sont illégaux. « Quel rôle y a joué la France ? demande Nabil Boudi. Si elle a participé à leur organisation, elle s’expose à des sanctions. » Un rapporteur de l’Onu s’est saisi du dossier. Côté kurde, chez les FDS, on démentait, il y a un mois, toute participation. « C’est la coalition qui a tout géré, expliquait le Dr Abdulkarim Omar, haut responsable aux affaires étrangères. Nous n’avons signé aucun contrat avec la France, rien n’est officiel. Les djihadistes français passent par des bases militaires de la coalition présentes sur notre sol avant d’être amenés à Bagdad, et nous n’intervenons pas. » Une information confirmée par un activiste qui raconte comment des prisonniers ont bien été déplacés de la prison de Kobane vers une base internationale. « Les FDS veulent garder cela secret car ils sont financés par la coalition », dit-il.
Date: 26 juillet 2019
Titre: Paris Match
Auteur: Flore Olive
Photo: S. Kenech
Catégorie: Actualités juridique pénale