Actualité juridique pénale
Violences, bavures : des policiers racontent
Un an après le début du mouvement des gilets jaunes, des membres des forces de l’ordre évoquent leur rapport aux armes, à leurs limites… et plus généralement à la violence. Celle qu’ils subissent comme celle dont ils font usage.
Sur le procès-verbal d’interpellation, Arthur (1) a écrit que « cinq individus présentant une attitude hostile » s’approchaient de lui. C’est un mensonge. « Un petit mensonge nécessaire », relativise ce policier du Sud-Ouest, de ceux que l’on écrit pour « se bricoler un cadre légal lorsque… eh bien… lorsque ça rentre pas ». Une sorte de chausse-pied, donc. Ce matin-là, personne ne s’approchait d’Arthur. Pas un seul individu présentant une attitude hostile à la ronde. Un jeune d’une quinzaine d’années courait simplement comme un dératé le long d’un trottoir bordé d’arbres.
Arthur et ses collègues n’avaient pas réussi à l’attraper (ils avaient un très sérieux motif pour le faire). « Écoute, je vais pas te mentir. Le type était à 70 mètres, quelque chose comme ça. Alors même si je l’avais touché… Une balle en caoutchouc, dans le dos et à cette distance, ça l’aurait pas arrêté. » Alors pourquoi lui avoir tiré dessus au LBD (lanceur de balles de défense), cette arme noire à gros calibre devenue l’un des symboles des violences policières ?
Violences policières, la réponse de la hiérarchie est-elle suffisante ?
« Eh bien… Pour lui en mettre une. Qu’il ait bien à l’esprit que l’autorité, c’est nous. Dans les quartiers, tu sais, c’est un rapport dominant-dominé. Une cité calme, dans laquelle une voiture de police peut entrer sans incident, c’est des années de travail. Je devrais pas te dire ça, mais parfois, on doit dépasser la ligne. » En théorie, un tir de LBD doit « dissuader ou neutraliser une personne violente et/ou dangereuse » (instruction du 2 septembre 2014 du ministère de l’intérieur). En pratique, l’arme est donc également employée pour « se faire respecter » (« rien que la sortir, parfois ça suffit »), et ce malgré les risques que l’on connaît.
« Maintenir à distance »
« Une fois, j’ai tiré au LBD dans la gorge d’un mec. C’était un jeune. Après, c’est parti en émeutes dans toute la circo’. Évidemment, pour la hiérarchie c’était de ma faute… » Luc est entré dans la police en 1994, « à une époque où on sortait encore sans gilet pare-balles, avec seulement un six-coups ». C’était un an avant que le directeur général de la police Claude Guéant introduise l’usage du Flash-Ball (une marque de LBD), généralisé quatorze ans plus tard à toutes les unités « intervenant dans les quartiers difficiles » par son successeur Frédéric Péchenard.
« Le jeune, je lui ai évidemment pas visé la gorge. On était deux en patrouille, ce jour-là. On voulait attraper un type qui faisait du scooter sans casque et mon coéquipier s’est un peu trop enfoncé dans la cité. J’étais encore au volant quand je l’ai vu revenir en courant poursuivi par une vingtaine de mecs qui lui balançaient des trucs. Alors je suis sorti de la voiture et j’ai tiré. » Luc juge le LBD nécessaire pour « maintenir à distance » et éviter, dans certains cas, « d’avoir à tirer à balles réelles ». « Cette fois-ci, ça a touché la gorge, bon et alors ? C’est pas téléguidé. Le jeune, il est pas mort non plus. C’est le hasard. C’est pas pour ça qu’il faut retirer l’arme. » Une arme qui est pourtant critiquée depuis des années pour son imprécision.
Date: 19 novembre 2019
Titre: La Croix
Auteur: Mikael Corre
Photo: Ulrich LEBEUF/MYOP
Catégorie: Actualités juridique pénale