Actualité juridique pénale
Les magistrats au bord du burn-out ?
Dans une enquête menée auprès de 750 juges et procureurs, le Syndicat de la magistrature évoque une souffrance au travail « massive » dans les tribunaux.
« Je suis toujours affligé de ne pouvoir apporter l’écoute nécessaire au justiciable » ; « Quasiment pas une nuit où je ne pense à mes dossiers… » ; « Je n’ose parler de ma souffrance personnelle, inquiète de passer pour quelqu’un de peu solide » ; « On en vient à reprocher aux collègues d’être enceintes ou malades ». « Soirées et week-ends trop souvent sacrifiés… Je culpabilise en permanence, soit à l’égard de mes proches en raison de mon indisponibilité, soit sur le plan professionnel lorsque je choisis de privilégier ma vie privée (ce qui est rare). »
Ils sont juges d’instance, juges d’instruction, conseillers de cour d’appel, juges de l’application des peines ou encore vice-procureurs… Tous expriment leur lassitude, leur fatigue et parfois même leur « souffrance » dans une enquête sur la charge de travail dans les juridictions, menée par le Syndicat de la magistrature (SM) et publiée mercredi sous le titre L’Envers du décor.
754 juges ou parquetiers (magistrats du parquet) de tous grades, soit 10 % du corps judiciaire, ont répondu au questionnaire que cette organisation syndicale (classée à gauche) avait adressé aux magistrats. Les réponses, restées anonymes, sont édifiantes : une écrasante majorité (95 %) déclarent travailler les week-ends en plus des permanences et astreintes ; plus de 60 % assurent avoir déjà renoncé à des congés ou à une formation en raison du poids de leur tâche ; 77 % des magistrats consultés ont déjà planché sur leurs procédures alors qu’ils étaient en vacances… Plus grave : ils sont près de 80 % à juger que la charge de travail a un impact sur la qualité de leurs décisions. « J’ai parfois l’impression de faire du travail à la chaîne », déplore un vice-procureur. « Il faut tenir un certain rythme, ce qui implique de survoler certains dossiers », admet un juge.
« Stress et épuisement physique »
La quasi-totalité des personnes interrogées (93 %) considèrent que cette surcharge a un impact sur leur vie privée. « La distinction entre sphère privée et sphère professionnelle est devenue pour moi vide de sens, mon domicile faisant office de second bureau », confie un juge des enfants, qui s’est résigné à « mettre [sa] vie privée entre parenthèses ». 57 % des interlocuteurs du SM évoquent des « répercussions » sur leur santé psychique et physique. « On tire sur la corde par passion et dévouement, j’ai fini par faire un burn-out », confesse un substitut. « J’ai dû m’arrêter en raison de problèmes cardiaques que les médecins ont exclusivement liés à mon stress et à un épuisement physique », révèle le vice-président d’un TGI. À la question que leur pose le SM : « Diriez-vous que vous êtes en souffrance au travail ? », un magistrat sur trois répond par l’affirmative. « La justice, institution prétendument bienveillante, a intégré la gestion de la pénurie comme mode de fonctionnement », dénonce un juge d’instruction, croulant sous près de 200 dossiers.
Date: 4 juin 2019
Titre: lepoint.fr
Auteur: Nicolas Bastuck
Photo: François Nascimbeni / AFP
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