Les billets d’humeur de Maître Philippe-Henry Honegger
L’élection présidentielle approchant, les hommes politiques donnent l’impression que chaque fait divers doit absolument entraîner de manière systématique la mise en place d’un projet de nouvelle loi même si celle-ci s’avère totalement absurde.
Cette semaine ne nous a pas permis d’échapper à la règle.
Vous avez peut-être vu passer cette affaire totalement anecdotique dans laquelle un jeune homme a pris un sac dans un camion de pompier, afin de faire une « blague » et de faire rire ses « followers » sur Snapchat.
Ce jeune homme souhaitait subtiliser le sac pour le rendre par la suite, probablement pour agacer les pompiers.
Blague potache ? Idiotie blâmable ?
Peut-être.
Infraction pénale, certainement.
Subtiliser le bien d’autrui, même pour le rendre par la suite, constitue un vol au sens de la loi.
Ce jeune homme a donc été interpellé, placé en garde à vue, et une sanction a été décidée par le Procureur : rappel à la loi avec un stage de citoyenneté.
Il s’agit d’une sanction alternative à la prison, ayant pour but de faire comprendre la nature de l’infraction et d’éviter sa récidive.
Application habituelle et normale de la loi dans ce genre d’affaire.
Mais c’était sans compter sur le festival de propositions improbables en cours en ce moment, auquel se joignent Xavier Bertrand et Éric Ciotti cette semaine.
Ces derniers ont en effet estimé que ce jeune homme aurait dû être condamné à de la prison ferme.
En sus, ils ajoutent qu’il serait nécessaire de supprimer le rappel à la loi pour mettre en place des incarcérations automatiques.
Une proposition totalement incohérente au regard de l’économie de la peine, de la philosophie de la peine et de la réalité de la délinquance en France.
Cela est tout d’abord absurde d’un point de vue économique.
Pour comprendre, ce que représenterait économiquement de supprimer les rappels à la loi, il faut savoir qu’en 2019, 260 000 rappels à la loi en France ont été prononcés.
Sachant que depuis l’année dernière toutes les peines de prison ferme prononcées doivent être supérieures à un mois.
Et que l’incarcération d’un détenu est évaluée à 100€ par jour et par personne, cela signifierait que si l’on condamnait au minimum de 1 mois toutes les personnes qui auraient pu faire l’objet de rappel à la loi chaque année, cela coûterait 780 millions d’euros a l’Etat, soit 10% du budget total de la justice – au minimum…
Une somme colossale de 780 millions d’euros que l’on investirait chaque année pour placer des personnes en prison, des personnes qui ont voulu faire une blague à des pompiers, donné un coup de pied au chat du voisin, ou encore insulté quelqu’un parce qu’il était en voiture.
Economiquement ca n’a donc aucun sens, mais l’opinion publique pourrait tout de même se dire que l’important, « c’est de faire peur » : la prison dissuadant la récidive.
Erreur à nouveau.
En effet, si les aménagements de peine (c’est-à-dire les peines alternatives à de la prison ferme) ont été privilégiées sur ces dix dernières années, c’est justement parce qu’ils favorisent la réinsertion sociale et la possibilité pour ceux qui ont un jour « dévié » de retrouver un chemin dans la société.
Les chiffres sont alors sans équivoque : la récidive est diminuée de moitié lorsque les peines alternatives à la prison sont privilégiées.
Finalement, l’effet dissuasif de l’incarcération ne fonctionne pas, son effet économique non plus, tout comme ses capacités à éviter les récidives.
A l’inverse, les individus placés en prison en ressortent souvent bien « pires » que lorsqu’ils y sont entrés.
Donc si on veut vraiment prendre des mesures efficaces afin de faire baisser la criminalité et les récidives et ne pas céder à de la pure démagogie électoraliste et dangereuse, il faut cesser avec cette obsession carcérale absurde.
Il faut s’asseoir calmement, regarder les chiffres et prendre les bonnes décisions qui vont toutes dans le sens d’une certaine forme d’abolition progressive du système carcéral tel qu’il existe aujourd’hui.
Dans sa plaidoirie qui a initié le mouvement abolitionniste contre la peine de mort, Badinter avait dit à l’époque : « si vous prononcez la peine de mort, un jour vos enfants vous regarderons et dans leur regard, vous verrez… »
Je crois que de la même manière dont nous nous indignons aujourd’hui au sujet de la guillotine, ce sera un jour la même chose avec la prison et que nos enfants nous diront : « vous n’aviez rien compris… ».