L’idée la plus communément acceptée est qu’il faudrait surveiller la mise en marché de ces produits. Mais pour certains experts, la poupée sexuelle à l’allure juvénile est au contraire un moyen de lutter contre la pédophilie.
La poupée sexuelle comportait « des détails anatomiques précis ». Retrouvée en septembre dernier dans la valise d’un certain David Turner après un contrôle de bagages à l’aéroport, elle représente une enfant. Sur l’ordinateur de cet ancien directeur d’école de 72 ans, des recherches pour acheter une « poupée sexuelle à poitrine plate » ainsi que des images pédophiles ont été retrouvées suite à une perquisition à son domicile. Jugé au Royaume-Uni, il a écopé de 16 mois d’emprisonnement.
Le débat est controversé : posséder un tel support masturbatoire est-il un moyen cathartique d’éviter la pédophilie ou au contraire, un moyen d’alimenter un imaginaire sexuel répréhensible ? Au Japon, des robots-enfants sont commercialisés sans que cela ne fasse sourciller personne. Ainsi, l’entreprise Trottla produit des poupées représentant des écolières depuis plus de dix ans. Son PDG, Shin Takagi, avoue lui-même être pédophile. Un argument de vente pour celui qui se réjouit de n’avoir jamais succombé à ses désirs sexuels « dans la vraie vie » grâce à sa poupée grandeur nature.
L’entrepreneur assure également recevoir quotidiennement des lettres de personnes le remerciant de leur éviter de passer à l’acte. En effet, un peu à l’image de ces hommes qui expliquent qu’ils préfèrent avoir une poupée sexuelle plutôt que tromper leur femme, certains clients estiment que jouir avec ces objets imitant l’apparence d’enfants est un bon moyen de les tenir éloignés de la criminalité.
Des enfants grandeur nature en latex
Or, dans la communauté scientifique, un consensus règne : les sexdolls juvéniles ne sont pas des sexdolls comme les autres et on ne devrait pas les vendre sans contrôle. En les banalisant dans le commerce, n’est-ce pas un peu l’attirance sexuelle pour les enfants que l’on banalise ? Dans plusieurs pays, les poupées sexuelles prépubères sont considérées comme de la pédopornographie. Au Royaume-Uni par exemple, il est interdit de faire rentrer sur le territoire ces objets souvent produits en Chine (bien qu’il ne soit pas encore interdit d’en posséder chez soi). « Il y a un risque pour que l’usage de ces poupées sexuelles d’enfants désensibilise et normalise le fantasme chez ceux qui les possèdent – un phénomène que l’on observe déjà chez les gens qui détiennent chez eux des images pédophiles », a expliqué Jon Brown dans un communiqué, responsable du développement à la NSPCC (National Society for the Prevention of Cruelty to Children), une association pour la protection des enfants.
Le vide juridique demeure
En attendant, le vide juridique demeure dans la plupart des pays. Interrogé par Mashable FR, l’avocat pénaliste Philippe-Henry Honegger explique qu’en l’état, la législation française ne semble pas avoir envisagé le cas des poupées gonflables en forme d’enfants. Il y a bien la loi du 17 juin 1998, mais elle condamne (par cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende) « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». Une image ou une représentation, donc – pas un objet.
Et même si depuis l’arrêt du 12 septembre 2007 rendu par la Cour de cassation de Paris, la loi a été étendue aux « images non réelles représentant un mineur imaginaire » à la suite d’une affaire concernant une cassette vidéo de manga japonais à image pédophile, et qu’une poupée gonflable représente un mineur imaginaire et pas un mineur particulier, une poupée gonflable reste… une poupée. Dans l’application stricte de la loi, rien n’interdit donc le fait de commercialiser une telle poupée sexuelle puisqu’elle n’est pas, à proprement parler, « une image de mineur » à « caractère pornographique ». En revanche, « on ne peut pas exclure que la loi fasse un jour l’objet d’une extension s’il est considéré qu’une autre application entre dans l’esprit de la loi », poursuit Philippe-Henry Honegger.
Différents types de pédophiles ?
Posséder une poupée sexuelle enfantine ne revient pas exactement à posséder du matériel pédopornographique, selon un psychologue clinicien de Toronto.
La pédophilie est d’abord une maladie
« Pour qu’il y ait pornographie juvénile, il faut des preuves qu’un crime a été commis. Ce n’est pas le cas lorsqu’on parle d’une poupée gonflable qui représente un enfant. Il n’y a pas de vraie personne, ce n’est qu’un morceau de latex. Alors s’il n’y a pas de victime, quel tort a été causé ? », se demande le Dr James Cantor interrogé par Radio Canada. C’est aussi l’avis des experts qui estiment que la pédophilie est d’abord une maladie – elle n’est un crime que lorsque des enfants. Pour ceux-là, l’usage de ces poupées pourrait aider les pédophiles qui se soignent et qui seraient régulièrement accompagnés par un corps médical formé.
Ainsi, Michael Seto de l’université de Toronto propose deux catégories distinctes chez les pédophiles : un peu comme pour le traitement de méthadone chez les toxicomanes consommant des opioïdes, il y aurait d’un côté ceux qui parviendraient à contrôler leurs pulsions en satisfaisant leurs fantasmes avec de la pédopornographie fictive, de l’autre ceux chez qui ces substituts aggraveraient au contraire la frustration. Sauf qu’en l’absence de véritable étude sur le sujet, il est difficile de confirmer ou d’infirmer ce sentiment, admet-il également. À l’heure où ces poupées en latex plus vraies que nature commencent à être dotées d’intelligence artificielle, il semble urgent de trancher sur les bienfaits ou les conséquences désastreuses de ces poupées gonflables juvéniles.
Source : mashable.france24.com
- Date: 10 janvier 2018
- Média: Mashable / France 24
- Auteur: Emilie Laystary
- Catégorie: Articles de presse