Le lien entre précarité et prison est clairement établi. Le plan pauvreté, récemment présenté par Emmanuel Macron, a tort d’occulter la place de la justice.
Emmanuel Macron a présenté le 13 septembre un plan pauvreté avec pour axes prioritaires l’aide aux plus jeunes et l’accompagnement vers une insertion professionnelle. Une vision supposée « globale », qui occulte totalement la place de la justice, pourtant au cœur du problème.
Au-delà des sans-logis et des chômeurs, une population, peut-être presque plus que toutes les autres, est directement concernée par les questions de précarité : les personnes détenues. En effet, il existe un lien étroit, entre précarité et incarcération.
Face à un juge, une personne condamnée qui ne peut justifier d’un emploi et d’un hébergement ira très souvent en prison. Hélas, la prison aujourd’hui n’offre aucune solution permettant la réinsertion effective des condamnés. Résultat, à la sortie de détention, le problème reste le même et cela favorise la récidive au lieu de la prévenir.
Ce phénomène est connu de tous et l’on continue à se plaindre de la récidive, aggravant sans aucun résultat les peines encourues, au lieu de voir et traiter la cause du problème. Pourtant des solutions existent et elles auraient pu être intégrées dans ce plan pour lutter contre la pauvreté.
Tribunaux débordés
Les magistrats croulent sous les dossiers, les prisons sont surpeuplées – de tristes records sont battus chaque année portant à plus de 70.000 le nombre de détenus pour 59.000 places. Les décisions de justice sont exécutées souvent bien trop tard, perdant tout leur sens et leur utilité.
En 2018, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), on peut attendre entre un et deux ans avant qu’une affaire soit audiencée pour être jugée, les renvois se font parfois près d’une année plus tard en raison de la surcharge des audiences, les aménagements de peines fermes peuvent prendre un an avant d’être étudiés par le juge d’application des peines et les décisions «urgentes» de la commission d’indemnisation des victimes accusent plus d’un an de retard. C’est le cas du Tribunal de Bobigny, mais c’est aussi le cas des autres juridictions périphériques d’Île-de-France (Créteil, Évry, Nanterre…); Les tribunaux de banlieue sont exsangues.
La première solution pour traiter ce problème entre criminalité et pauvreté sera justement de garantir une justice qui, elle-même, ne serait pas pauvre. Une justice efficace avec les moyens de répondre correctement aux problèmes de délinquance et d’appliquer utilement les décisions rendues. Plus de magistrats, plus de procureurs, plus de greffiers – voilà comment commencer à lutter efficacement contre un système qui aujourd’hui, créé de la désinsertion au lieu de créer de l’insertion.
Trop peu de conseillers pénitentiaires
Si la justice est rendue dans des conditions déplorables, l’application des décisions est aussi devenue quasi impossible faute de moyens. Pourtant, la clé de ce problème existe déjà, les lois ont déjà été votées, les outils et les acteurs sont déjà en place.
Cette application et le contrôle des personnes ayant des affaires au pénal se font normalement par l’intermédiaire des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Ils ont un rôle primordial pour prévenir la récidive et favoriser l’insertion.
Et c’est bien le cœur du problème : la délinquance et l’emploi. Les CPIP ont pour mission de suivre les personnes sous contrôle judiciaire ou ayant été condamnées, de les rencontrer régulièrement, de vérifier la réalité de leur activité professionnelle, de les aider à trouver des formations, de s’assurer du suivi des soins addictologiques et psychiatriques, de les encadrer, de les accompagner, en bref de s’assurer qu’ils ne recommenceront pas. Ne manque qu’une seule chose – qu’on leur donne enfin les moyens d’atteindre les objectifs fixés.
Mais avec si peu de moyens, ils sont tellement peu nombreux qu’ils arrivent à peine à rencontrer ceux dont ils s’occupent. Comment imaginer qu’ils pourraient les conseiller, les accompagner ou même les aider efficacement ? La réalité de leur rôle est vidée de tout sens.
Zones de justice prioritaires
Pourtant, si tout n’est certes pas affaire de budgets , à chaque fois que l’on promet d’augmenter le nombre de policiers pour réprimer plus, envoyer plus de personnes en prison, ne pourrait-on pas plutôt traiter le problème plus efficacement, à la source, en créant plus de postes de CPIP pour accompagner plus et s’assurer qu’il n’y aura pas de raisons de les renvoyer en prison ? De la même manière qu’il existe des réseaux d’éducation prioritaire (REP) pour l’école ou des zones de sécurité prioritaires (ZSP) pour la police, à quand des zones de justice prioritaires ?
La Justice dans les zones défavorisées n’est pas confrontée à la même criminalité, aux mêmes enjeux socio-économiques, aux mêmes problématiques de récidive et d’insertion. Un plan pauvreté digne de ce nom devrait prendre en compte ces spécificités en termes de justice, y consacrer une attention et des moyens particuliers.
Il ne s’agit pas de tout bouleverser, de tout réinventer, les outils existent, les solutions aussi. Il faut uniquement faire en sorte que cela fonctionne enfin. Car un État de droit, ce n’est pas uniquement de jolis dispositifs, ce doit être l’assurance d’une justice de qualité avec les moyens de mettre en oeuvre effectivement les nobles objectifs qu’on lui assigne.
Source : www.lesechos.fr
- Date: 5 novembre 2018
- Titre: Les Echos
- Auteur: Philippe-Henry Honegger
- Catégorie: Articles de presse